Commentaires
Peu après être passé par le Festival d'Annecy en sa 1ère édition en 1960, ce court-métrage fut diffusé sur la RTF Télévision, alors l'unique chaîne de télévision française, le 23 décembre 1962. Ce jour-là également fut exposés, sur ce même petit écran, deux films d’animation chinois : Les Petits Canards Intelligents et Les Têtards à la recherche de leur maman (de très beaux cadeaux de Noël proposés ainsi entre 17h20 et 21h00, le jour précédent le réveillon). C'est également ce soir-là que fut diffusé le 12ème épisode présenté alors comme le dernier de la série débutée le 10 du même mois, à savoir celui de Bonne nuit les petits. La même semaine fut également proposé sur la RTF quatre petits rendez-vous pour évoquer la ressortie disneyenne au cinéma ce mois-là de Blanche-Neige et les Sept Nains avec un nouveau doublage.
Film d'animation sans dialogues, La Souris et le chat est un petit chef d’œuvre d'humour, plein d'inventivité et de non-sens, proche parfois de la folie d'un Tex Avery et du surréalisme. Tout d'abord l'action se situe en un décor minimaliste présentant l'intérieur d'une habitation, principalement trois ou quatre pièces où l'on passe de l'une à l'autre par un escalier, l'ensemble occupé par quelques meubles, le tout étant posé sur un fond noir qui souligne pour les deux protagonistes, du moins peut-on l’imaginer, que le monde se limite à ce petit espace. Dans ce décors noyé dans l'obscurité, la nuit y étant également pour quelque chose, la perspective y est quelque peu bousculée et provoque une certaine stimulation comme dans les œuvres de M.C. Escher telles celles que l'artiste néerlandais avait produit quelques années plus tôt (Maison aux escaliers , Relativité).
Quant au fil de l'action, cela se joue justement sur le fil, tout d'abord du générique dont les noms des artistes se forment et se déforment comme sous les traits ou le fil de l'écriture (un peu comme le réalisateur le fera encore en 1967 avec des lignes de tirets et de points dans le court-métrage Kreski Kropki, celui-ci évoquant la guerre avec ces deux seules formes de ponctuation), puis aux personnages du chat et de la souris, cette dernière allant en quelque sorte donner vie au félidé en s'amusant. Ainsi, après une vue sur les fils à linge surplombants la pièce avec un croissant de Lune l'éclairant, la première chose que l'on voit du rongeur, c'est sa queue, tel un fil muni du sens de la vision (comme le périscope d'un sous-marin), scrutant les alentours pour sortir du trou du plancher où il se cache. Après quelques petits pas pour évaluer les lieux, la souris aperçoit, resplendissant tel un soleil dans la nuit, un petit morceau de fromage, celui-ci étant prisonnier d'une énorme mâchoire aux dents acérés qui n'est autre qu'un piège à souris qui l'observe de ses petits yeux se situant sur sa dentition, et qui est prêt à refermer ses crocs sur elle. La petite souris, après un petit moment d’effroi, lui tire alors la langue et le monstre faisant de même, sa langue étant le fil de métal où est enfoncé le morceau de fromage, elle peut lui prendre sans danger la petite gourmandise.
Puis, un peu plus loin, c'est en tirant sur un fil pendant d'une table, avec à son extrémité une gomme, que la petite souris fait tomber une chemise à dessins (on peut y lire l'inscription « Blok rysunkowy »). A l'intérieur, sur une feuille, la petite souris découvre la silhouette crayonnée d'un chat. Pour s'amuser, elle prend la gomme et commence à effacer le bout de la queue du chat qui prend vie et se met de suite à courir après la petite souris. Celle-ci grimpe alors sur une table par l'un des pieds de cette dernière, le chat à ses trousses prenant le même chemin jusqu'au moment où, tout en faisant l'effort de s’agripper au pied de la table, il commence à filer pour ne plus former qu'un fil, puisque son contour un peu effacé ne peut plus lui permettre de maintenir sa forme dans une telle action. Il retombe ainsi à terre et, après avoir repris son aspect, il fait un petit nœud au bout de sa queue pour éviter que cette déconvenue ne se reproduise.
Parvenant enfin à monter sur la table d'un bond, il poursuit la petite souris qui s'est réfugiée au sommet d'une mappemonde posée sur le meuble. Mais là encore, ses déboires continus car, tout en courant après le petit animal sur la sphère, celle-ci se met à tourner de plus en plus vite, et instinctivement pour ne pas être emporté par l'élan ainsi produit, il s'accroche à l'arc du demi-méridien maintenant le monde sur son socle, et ne lâchant pas prise, le fil de son corps s'enroule autour du monde en quelques secondes dans un sens puis dans l'autre, pour finir par reprendre forme après avoir réussi à stopper la rotation. Là encore, petit détail amusant, la petite souris y est pour quelque chose car pendant cette course autour du monde, elle avait en main un petit drapeau qu'elle avait décroché du pic de la mappemonde et qu'elle avait ensuite planté sur le parcours du chat qui, lui, s'en se rendre compte, avait été accroché par le petit drapeau au niveau de la queue, d'où l'effet ainsi produit entre les deux extrêmes de son corps, ses pattes s'accrochant au demi-méridien et sa queue ayant été accrochée par le petit drapeau.
La petite souris saute ensuite sur la table où elle tombe sur un tampon-encreur qui, dans son balancement, l'éjecte très haut jusqu'à retomber dans la nacelle d'une montgolfière, cette dernière – se détachant alors de la couverture d'un livre de contes qu'elle illustre – l'emportant dans les airs. En passant au dessus du chat, elle se moque encore de lui. Celui-ci, à nouveau mécontent, s'arrache l'une de ses moustaches, la projette en l'air comme une lance dans la direction de la montgolfière, l’aérostat éclatant à son contact et éjectant la petit souris qui doucement tombe des airs pour finir sa course dans une maison de poupée par laquelle elle entre évidemment, suite à son envolée, par la cheminée (sur la façade, on peut y lire le sigle PKO qui est celui de la caisse d'épargne postale polonaise devenue depuis la banque nationale). Le chat de même tente de s'introduire dans l'habitation en se faufilant dans la cheminée, mais la petite souris ne lui laisse pas le temps de prendre forme dans la maison, qu'elle attrape les premiers centimètres de fil qu'il forme, du moins le devine t-on sans le voir, car elle le rejette de suite par la fenêtre alors qu'une partie de lui est encore dans le conduit. Tout cela est toujours d'un grand amusement à voir, car l'on devine dans les menus détails de l'animation de la souris, de ses déplacements à ses fins mouvements, toute l'espièglerie de celle-ci, avec en prime, à la suite de cette petite victoire, quelques pas de danse sous une légère envolée musicale.
Ainsi, plus cette petite aventure défile, et plus les situations deviennent absurdes. En effet, la petite souris restée dans la maison de poupée, ne prend pas le temps de goûter à son petit exploit qu'elle aperçoit par la fenêtre une assiette volant dans le ciel avec, à son bord, un gros morceau de gruyère. Sitôt vu, elle quitte son abri et après quelques petits sots, elle se retrouve sur le dit couvert, et plus précisément sur le morceau de fromage qui n'est en fait que le chat qui en avait pris l'apparence. De fait, elle est de suite prisonnière du corps du félidé qui reprend forme, mais toujours aussi perspicace, la petite souris réussit à s'échapper en dénouant le nœud que le chat avait fait au bout de sa queue, suite à son petit effacement, et s'enfuit pendant que ce dernier renoue le fil de son corps. Arrivée sur une table ronde où du matériel à dessin est posé, la petite souris laisse s'échapper d'une bouteille d'encre rouge, le contenu de celle-ci, formant une mare sur la surface de la table dans laquelle se noie le chat qui s'était quelque peu par trop précipité sur ces lieux. L'animal de dessin a toutefois le temps d’attraper une feuille de buvard qui se pose alors sur toute la surface de la mare, le papier absorbant l'encre jusqu'à plus soif, et asséchant l'étendue liquide qui lui permet de se relever tout de rouge de colère.
La course-poursuite continue encore de plus belle, la petite souris enfourchant alors un petit cheval en papier plié se trouvant sur la table ronde, et le chat faisant de même sur le dos d'un oiseau également fait de papier. Sur sa monture, la petit souris gravit les marches d'un très grand escalier en colimaçon qui l'emmène toujours plus haut, la menace venant du ciel, tournoyant au dessus d'elle, et réussissant par attraper au lasso son destrier, la désarçonnant et la faisant chuter pour finir sa course dans le corps d'un piano à queue, le couvercle de celui-ci se refermant alors sur elle (on soulignera tout le long de cette scène le tournoiement des divers éléments la composant accentuant la vertigineuse descente de la petite souris). Puis, quelque peu à la manière des célèbres Tom et Jerry (sans nul doute un petit clin d'oeil au court-métrage Tom et Jerry au piano / The Cat Concerto de 1946), le chat se met à jouer de l'instrument pour déranger la petite souris qui se trouve à l'intérieur de celui-ci, parmi les cordes. Après quelques notes bien frappées sur le clavier, curieux de voir comment se sent alors sa victime, le chat ouvre le couvercle et la petite souris en profite pour s'échapper, tout en se moquant encore de lui. Après à nouveau une très courte et amusante poursuite, passant par un trou, la souris plonge dans un bassin. Elle tente alors d'aller d'un bord à l'autre pour s'extraire de la pièce d'eau, mais le chat longeant celle-ci ne lui laisse pas l’opportunité de le faire. Puis, faisant de petits gestes comme si elle se noyait, elle en profite pour envoyer quelques gouttes d'eau sur le chat qui, surpris, mouillé et retrouvant la couleur de son trait après quelques frissons, laisse s'échapper du bassin la petite souris. Enfin, après une énième poursuite, la petite souris parvient à retrouver le trou dans le plancher par lequel elle était arrivée, le chat l'empêchant encore d'y parvenir en se postant juste devant. Le félin, qui oubli qu'il est transparent puisqu'il n'est fait que d'un trait, ouvre alors sa gueule et la petite souris apercevant le trou du plancher au travers de celle-ci, plonge en elle pour atteindre ce dernier sans problème. C'est ainsi l'ultime gag visuel et absurde de ce court-métrage avant que ne sonne une horloge et que ne soit aspiré le chat vers sa planche à dessin.
Dans sa forme, si les illustrations de ce court-métrage sont relativement simples, elles sont également d'une grande efficacité esthétique, cette dernière étant révélée et relevée par une animation d'une souplesse admirablement mise en scène, sur une idée ou une partie déjà plus ou moins exploitée, mais de façon ô combien jubilatoire sous la direction de Wladyslaw Nehrebecki (1923-1978). On retrouve un peu de cette étincelle de ce court-métrage dans ce qui fut l'une des créations du réalisateur parmi les plus célèbres et enthousiasmantes, à savoir la, ou plutôt les séries de Bolek et Lolek dont on ne dira jamais assez de bien (on voit par ailleurs dans le court-métrage une mappemonde qui ne peut, ne pas faire penser de suite à celle de la troisième série de Bolek et Lolek parcourant le monde en 1968-70, même s'il n'y a pas de rapport entre les deux œuvres). Cette étincelle de vivacité se retrouvait dès le tout premier court-métrage, en 1963, des aventures trépidantes de Bolek et Lolek qui nous présentait nos deux petits amis jouer à Guillaume Tell sous la musique de Rossini avec la dernière partie de l'ouverture de son opéra dédié au héros suisse, le célèbre « Allegro vivace » : épisode dirigé par Wladyslaw Nehrebecki où un chat faisait une courte apparition, tout comme une souris dans le 13ème et dernier épisode en 1964 de cette première série, ce 13ème épisode étant justement le deuxième concernant nos deux petits héros réalisé par Wladyslaw Nehrebecki.
Si la musique était d'une grande importance pour Bolek et Lolek dont Tadeusz Kanski signa quelques partitions, elle l'était également pour une grande partie de la production du même studio, La Souris et le Chat n'y faisant pas exception. Ainsi, dans ce court-métrage également, la composition musicale qui accompagne l'action forme avec cette dernière un dialogue, certes sans paroles, mais qui sous l'impulsion des deux personnages ne cesse de se répondre, toujours dans un renouvellement d'une grande vitalité.
Une programmation de cinq courts-métrages d'animation polonais a été projetée dans les salles françaises à partir du 8 octobre 2014 sous l'intitulé « MinoPolska - Dessins animés polonais des sixties » (avec toutefois un premier film datant de 1954), et suite à cela, en 2015, un DVD a été édité avec les films exposés dans le programme, mais aussi avec huit autres petits chefs-d’œuvre de l'animation polonaise dont, justement, La Souris et le chat. A cet occasion, ce court-métrage est annoncé sous le titre Le Chat et la souris (le dossier de presse en dit quelques mots, évoquant au passage la transparence de la petite souris alors que c'est le chat qui n'a pour corps que le contour de celui-ci, le petit rongeur étant blanc). On doit cette magnifique sortie à la maison d'édition et de distribution Malavida Films dont on se doit de rappeler le sérieux (malgré une petite faute sur ''chefs-d’œuvre'' dans le dossier de presse) et la richesse de son catalogue. Sera présent également sur le DVD, un épisode du célèbre Reksio dont la série fut diffusée en France sous le titre Rexie alors que Malavida a choisi pour l'heure cette autre orthographe : Rexy.