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Parmi les nombreuses adaptations en divers arts des histoires du célèbre Nasreddin Hodja (le comédien Talât Artemel lui prêta ses traits en 1954 sur le grand écran turque, comme Hazim Körmükçü en 1940 ou Ismail Dümbüllü en 1954 et 1965, de même qu'Omar Sharif en 1958 dans son incarnation égyptienne dans Goha de Jacques Baratier), celle de Ümit Solak, quoique s'adressant plus particulièrement à un jeune public – si l'on peut considèrer que la forme de l'animation en volume s'adresse à cet auditoire pour cette série –, conserve toute la saveur et la sagesse des courts récits mettant en scène ce mythique et légendaire personnage historique de la culture turque, et plus largement du monde arabe et des Balkans, ou encore de l'Asie centrale et de l'Extrême-Orient.
En quelques mots, telle une fable, les histoires de Nasreddin teintées d'un humour semblant parfois absurde qui se savoure avec une certaine gourmandise intellectuelle, enluminées également d'une grande force d'esprit et de spiritualité, voire de philosophie, et de même d'un humanisme manifeste, apportent à celui qui les reçoit, un certain bienfait comme un peu de bonheur. Ümit Solak contribue à cela avec sa sensibilité artistique, enrobant chaque histoire dans de merveilleux décors conçus avec beaucoup de soin, et où les couleurs chaleureuses rayonnent avec douceur.
C'est ainsi un peu, au gré des épisodes et de façon légère, qu'au travers de ces petites histoires se découvrent plus particulièrement pour le spectateur français pour ce qui nous concerne quelques éléments de la culture turque d'un temps passé, entre coutumes et mode de vie. C'est le cas notamment du générique que Ümit Solak évoque pour nous : Il s'agit d'une variante d'un air de musique classique turque intitulé « karacao?lan ». Elle est interprétée et enregistrée par les musiciens de la chaîne de télévision turque pour laquelle je travaillais au début des années 1980.
La série fut diffusée sur FR3 du lundi 31 décembre 1984 au vendredi 4 janvier 1985, soit sur cinq jours (un épisode par jour). Pour cause, si elle compte 17 épisodes dans sa totalité, seuls cinq courts-métrages avaient alors été produits en 1982-84. Les douze autres épisodes furent réalisés par la suite jusqu'en 1997 quand les autres projets de Ümit Solak lui laissaient un peu de temps pour se consacrer encore au sage Nasreddin. Cette production n'était pas une commande particulière mais tout simplement l'envie d'un artiste de porter à l'écran les histoires de Nasreddin Hodja.
Ümit Solak nous dit quelques mots quant à sélectionner un petit nombre d'histoires pour sa série parmi un vaste choix s'offrant à lui : Le choix des histoires s'est fait selon deux critères. J'ai inévitablement retenu les histoires les plus populaires mais également celles qui étaient à mon sens les plus faciles et intéressantes visuellement à transposer à l'écran. En effet, les fables de Nasreddin Hodja sont à la base uniquement constituées d'une brève situation focalisée sur Hodja. A partir de là survient la chute d'où découle la morale. L'adaptation en épisodes a donc nécessité un travail d'écriture pour amener une histoire autour de chacune des fables, de mise en scène et la création de tout l'univers dans lequel Hodja évolue (le village, les habitants avec leurs personnalités, ...).
Une autre série de courts-métrages d'animation en volume s'inspirant de Nasreddin Hodja fut également produite en Chine par le Studio d'animation de Shanghai avec Jin Xi (1919-1997) et Qu Jianfang à sa conception, ce de 1979 à 1988 sous le titre ?fántí de gùshi (Les Histoires d'Afanti). Le personnage y est représenté plus jeune, en une mince silhouette avec une barbe noire lui donnant un âge moyen que l'on peut estimer autour de quarante ans. A cet égard, dans certaines histoires (ou variantes) selon également la géographie, le personnage de Nasreddin est un jeune enfant ou un jeune homme (comme lorsque Omar Sharif l'a interprété à ses débuts), mais sa représentation picturale la plus répandue et la plus commune est celle justement que lui a donné Ümit Solak, un homme d'un certain âge, à la barbe blanche signifiant la sagesse (malgré tout, même sous cette forme, Nasreddin reste d'une certaine façon un être personnifiant une image de la jeunesse d'esprit, à la fois vive et optimiste, et son comportement pourrait évoquer un enfant qui se moquerait gentiment de tout, mais toujours avec respect). Ümit Solak évoque pour Planète Jeunesse cet aspect du personnage : Effectivement il existe plusieurs représentations différentes du personnage de Hodja, ce qui s'explique notamment par le fait que non pas un mais de nombreux auteurs ont contribué, au fils du temps, à la rédaction de ses histoires. Les points communs à toutes ces histoires sont la morale et la sagesse qui, à mon sens, ne peuvent être dispensées que par un homme d'un certain âge et d'une certaine maturité. Pour ma part, j'ai donc naturellement toujours eu comme représentation de Nasreddin Hodja un vieil homme barbu (la barbe renforçant la marque de sagesse).
Parmi les travaux d'Ümit Solak, signalons qu'il a oeuvré en 1992 auprès de messieurs Bettiol et Lonati – créateurs des célèbres Chapi Chapo – pour la série Touli, le Gardien des Rêves. Il évoque ainsi pour nous cette collaboration : J'ai rencontré Italo Bettiol et Stefano Lonati en 1984 en allant leur présenter ma série Nasreddin Hodja dans les locaux de leur société de production Belokapi. A l'époque, le domaine de l'animation était très confidentiel. Nous avions la même passion pour le volume animé et des méthodes de travail très proches, nous avons donc tout naturellement sympathisé. Quand le projet Touli, le Gardien des Rêves pris forme, Bettiol et Lonati recherchaient un animateur et firent donc appel à moi. Techniquement il n'y a aucune différence entre Nasreddin Hodja et Touli, le gardien des rêves. Dans les deux cas la technique d'animation est la même et filmée image par image à l'aide d'une caméra 16mm. Dans le cas de la série Touli, je travaillais uniquement sur l'animation alors que pour Nasreddin Hodja, étant seul, j'ai dû m'occuper de l'ensemble de la chaîne de production, de la conception des marionnettes/décors au montage en passant par l'animation...
A noter que l'immense scénariste Roger Lécureux, créateur entre autres d'un certain Rahan, s'inspira de ce personnage au travers du roman Quelqu'un troubla la fête / Vozmutitelj Spokojstvija / Vozmutitel' spokoystviya (1940) de l'écrivain soviétique Leonid Soloviov pour créer la série d'aventures Nasdine Hodja « l'inssaisissable » publiée dans les pages du journal Vaillant de 1946 à 1972, le magazine ayant pris entre temps pour nom, depuis 1969, celui de Pif Gadget (à lire impérativement le dossier qui lui est consacré dans le n°8 de Période Rouge où est aussi exposé un Gai-Lurron hodja et un hodja de la BD avec Will Eisner). Cette incarnation était plus proche du héros à la Robin des Bois (d'ailleurs son visage et sa stature aurait pu être interprété sur le grand écran par Douglas Fairbanks ou Errol Flynn, ces deux acteurs ayant joué également les héros orientaux) que de la personnalité plus conventionnelle et traditionnelle de Nasreddin Hodja. A cet égard, les histoires de ce dernier ont également connu plusieurs adaptations plus ou moins fidèles en bandes dessinées.
A noter également que trois ans avant que Roger Lécureux ne le fasse dans le cadre de l'art séquentiel, le roman Quelqu'un troubla la fête fut adapté en Union Soviétique au cinéma sous le titre Nasreddine à Boukhara / Nasreddin v Bukhare (1943) par Yakov Protazanov (réalisateur du « célèbre » film de science-fiction Aelita) avec Lev Sverdlin âgé de 41 ans dans le rôle de Nasreddin à qui, avec un léger bouc, il transmet une grande jovialité, peut-être le premier acteur ayant interprété ce personnage à l'écran.
Parmi la multitude de références que l'on pourrait évoquer encore, signalons que Patrick Préjean a également prété sa voix à Nasreddin lors d'un enregistrement sonore en 2013 intitulé Les 22 meilleurs histoires de Nasr Eddin Hodja.
Tous nos remerciements à Mr Bertan Solak pour les images qu'il nous a aimablement transmise pour illustrer cette fiche et de même, pour nous avoir permis d'échanger quelques propos avec son père Ümit Solak, le réalisateur de cette série que nous remercions également pour avoir eu l'amabilité de répondre à quelques-unes de nos interrogations. Avec encore nos remerciements pour le temps que messieurs Bertan Solak et Ümit Solak ont bien voulu nous accorder.