Synopsis
Japon, années 20. La jeune Midori, 12 ans, vient de perdre sa mère. Comme son père a disparu, l’adolescente est recueilli par un cirque accueillant différents monstres de foire : on y croise successivement une momie sans bras, un géant, un garçon à l’aspect féminin, une femme serpent, un "ver humain"... Rapidement, Midori devient leur souffre-douleur. Brimades, tâches ingrates du matin au soir, humiliations publiques, sévices physiques et sexuels, tout y passe. Lorsque Midori recueille par exemple des chiots pour se changer les idées et espérer recevoir enfin un peu d’amour en retour, c’est pour les voir finir à la casserole... Sa vie prend un tournant moins sombre le jour où le patron, qui connaît des difficultés financières importantes, se voit obligé d’engager un artiste supplémentaire dans sa troupe : Wonder Masamitsu (Masamitsu le Magnifique dans la traduction IMHO). Ce nain hypnotiseur est réputé pour un tour particulièrement apprécié du public : il fait croire que son corps est capable de rentrer complètement dans une bouteille et d’en ressortir sans autres difficultés. Il remarque alors la jeune Midori et commence à la traiter avec respect et affection.
La liaison entre Midori et Masamitsu, leur succès auprès du public et enfin la gestion financière désormais assurée par Masamitsu commencent à attiser la jalousie puis la haine au sein de la troupe. Lors d’un dernier numéro, Masamitsu manque de concentration et se fait huer par le public. Fou de rage, il lance un sort hypnotique à l’encontre des spectateurs, qui se voient subir les déformations et les sévices les plus monstrueux, les faisant ressembler aux autres membres de la troupe. Après ces événements, Masamitsu annonce qu’il démissionne et envisage de retourner à Tokyo avec Midori, qu’il compte épouser. Mais alors qu’ils s’apprêtent à prendre le bus pour rejoindre Tokyo, Masamitsu se fait poignarder par un voleur en fuite. Ne le voyant pas revenir, Midori part à sa recherche, assaillie par les souvenirs des brimades. Le film se termine sur un plan de Midori en pleurs, comme pour suggérer qu’elle vient sans doute d’apercevoir le corps de son fiancé...
Commentaires
Midori est une adaptation du manga "Shôjo Tsubaki" de Suehiro Maruo, paru en France sous le titre "La jeune fille aux camélias" chez l’éditeur indépendant IMHO. Œuvre phare de cet auteur considéré comme le pape de l’ero-guro, il s’agit d’une bande-dessinée très difficile d’accès. Le mouvement artistique ero-guro nansensu, souvent abrégé en ero-guro, peut être traduit par non-sens érotique et grotesque : il s’agit de représenter des éléments à la fois érotiques (sans sombrer non plus dans la pornographie comme on pourrait le croire) et grotesques, car absurdes et dépourvus de sens. Cette tendance artistique évoque en particulier les représentations du Grand Guignol, célèbre théâtre parisien du début du 20e siècle qui mettait en scène des histoires macabres en utilisant des pièces de boucherie pour suggérer l’aspect sanguinolent. La déformation des corps, ici suggérée par l’aspect repoussant des bourreaux de Midori, a notamment une place centrale dans le mouvement ero-guro, dont l’invention est généralement attribuée à l’écrivain japonais Edogawa Ranpo (auteur d’œuvres comme "L’Île panorama" ou "La chenille"). Grand amateur de Ranpo, Suehiro Maruo a d’ailleurs adapté ces deux romans en bande-dessinée. Le style de Maruo reprend les principes de l’ero-guro, mais en y appliquant une esthétique très inspirée des illustrations traditionnelles, notamment les estampes populaires représentant le folklore japonais.
L’une de ses principales sources d’inspiration est le muzan-e, une collection d’ukiyo-e représentant des scènes de torture et des meurtres, mais également le mouvement surréaliste et le cinéma expressionniste allemand. Dans sa "Jeune fille aux camélias", on retrouve notamment une grande influence du film ''La Monstrueuse Parade'' ("Freaks" en VO) de Tod Browning. Comme dans le long-métrage de 1932, les personnages sont pour la plupart des monstres de foire exhibant leur difformité dans un cirque.
Midori semble faire écho à la jeune femme dont l’un des freaks était amoureux dans le film de Browning. À la différence qu’ici, la situation est en quelque sorte inversée : alors que chez Browning, les monstres de foire sont considérés comme des victimes à cause de leur différence physique, ici c’est Midori qui le devient. Confrontée à des mœurs dissolues de la part de ses partenaires et à leurs avances sexuelles exacerbées, la jeune fille est prisonnière d’un univers malsain qui l’étouffe. Dans cette œuvre, les corps déformés, la représentation explicite de scènes sanguinolentes et la perversion font partie du quotidien de Midori. Les séquences trash sont donc mises en scène de manière explicite, sans jamais sombrer dans le vulgaire ou la facilité, mais en laissant une forte impression malsaine au spectateur.
Le personnage de la jeune fille aux camélias (Shôjo Tsubaki) voit le jour au début de l'ère Showa (1926-1989) comme héroïne de kamishibai (théâtre populaire sous forme d'illustrations peintes sur papier), attribuée à un certain Seiun, bien qu'il soit difficile d'affirmer s'il en est bien l'auteur (à l'époque, plagier les histoires d'un concurrent était chose courante). Le personnage est présenté sous les traits d'une adolescente ou d'une jeune fille au caractère ingénu, issue d'une famille pauvre, qui vend des camélias dans les rues pour survivre. Elle est finalement vendue et obligée de travailler dans un spectacle de revue (genre théâtral combinant musique, danse et sketches tournant en dérision les personnalités contemporaines).
Dans l’ensemble, le film suit la bande-dessinée de très près, tant sur le plan narratif que dans sa forme. Le thème du bizutage est cependant davantage mis en avant dans le film, comme dans beaucoup d’autres films du réalisateur Hiroshi Harada, ce dernier ayant lui-même subi des brimades dans sa jeunesse. En mettant en avant ce thème, toujours tabou au Japon, Harada (crédité ici sous le le pseudonyme de Hisaaki Etsu) cherche entre-autre à redonner du courage aux enfants victimes de persécution. Dans cette même optique, Harada a donné également plus d’importance au complexe physique qui entoure le personnage de Masamitsu, le nain hypnotiseur. Le réalisateur s’est également beaucoup informé sur le contexte historique, notamment au travers de l’univers du cirque, peu présent dans le cinéma japonais. Certains événements du film sont issus de faits réels et certains personnages comme Masamitsu sont inspirés de personnalités authentiques.
L’animation traditionnelle n’est finalement que très sommaire, la majorité des séquences étant constitué de plans fixes directement tirés de l’œuvre originale ou d’estampes traditionnels représentant des yôkai (littéralement "esprits fantômes"), faisant écho à intérêt de Maruo pour les estampes du muzan-e. Ces estampes peuvent être vues comme une reproduction symbolique des membres de la troupe et leurs mœurs dissolues dont est victime la jeune Midori.
Le film qui adapte la bande-dessinée tient une place un peu à part dans l’industrie du cinéma d’animation japonais : si le réalisateur Hiroshi Harada tenait à adapter l’œuvre de Maruo depuis pas mal d’années, il eut beaucoup de mal à trouver des financements pour réaliser Midori et dut se résoudre à produire le film par ses propres moyens. Par la suite, Harada put trouver des financements de la part de plusieurs entreprises, comme des producteurs indépendants, des clubs S&M (!), des propriétaires de vidéoclubs et des librairies de cinéma, ainsi que des figures politiques et culturelles du mouvement underground. La production du film s’étala finalement sur cinq ans, le réalisateur assumant pratiquement seul le travail des décors et la mise en couleur.
À sa sortie, débutée dans la cave d’un immeuble avant de finir dans les salles de cinéma classiques, le film est très vite interdit aux moins de 15 ans dans les salles japonaises (cette interdiction est aujourd’hui étendue à 18 ans). Il est finalement frappé d’une interdiction de diffusion au Japon et en 1999, l’unique copie chimique, au retour d’un festival étranger, est saisie par le Comité de censure et détruite. Il ne reste désormais que des copies sur vidéocassette, mais le réalisateur se refuse pour le moment à une exploitation commerciale du film sur ce support. À ce jour, l’édition française sortie en 2006 est donc la seule version DVD trouvable dans le monde.
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