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Le Tour du monde des marionnettes est une série de documentaires conçue par Philippe Genty (1938-, célèbre artiste de théâtre de marionnettes ayant fondé sa compagnie en 1968) et Yves Brunier (1943, célèbre marionnettiste également ayant entre autres donné corps et vie à Casimir, le monstre gentil de L'Île aux enfants). Elle est destinée non pas essentiellement à la jeunesse, même si sa diffusion a eu lieu à l'origine dans la programmation pour les enfants Colorix, mais à tous les publics pour qui l'univers de la marionnette est un art. On y découvre ainsi des marionnettes du monde entier et de divers milieux artistiques, de la scène ou pour des productions télévisées, en passant par des spectacles traditionnels. Nous est présenté également des contes aux origines multiples, de même que des artistes donnant vie aux pantins.
Le titre de la série reprend tout simplement le titre du film documentaire que Philippe Genty a réalisé précédemment en 1965, film présentant déjà le théâtre de marionnettes sous toutes ses formes et expressions, et ce à travers le monde dans le cadre du projet Orient-Occident de l'UNESCO. Le contenu de ce film est issu du matériel filmique qui a également servit comme matière à la série télévisée présentée en cette fiche : il s'agissait des nombreuses images filmées lors de l'expédition Alexandre que Philippe Genty et Yves Brunier entreprirent de 1962 à 1965 afin de faire en quelque sorte un état des lieux mondial de la marionnette (Alexandre : du nom de la marionnette créé par Philippe Genty et personnage principal de sa première création théâtrale dont il donna des représentations lors de cette odyssée). Cette expédition, pionnière en son genre dans le monde de la marionnette, fut un grand voyage autour du monde en Citröen 2CV (un peu comme l'errance d'un Nicolas Bouvier en Fiat Topolino en 1953...), avec le soutien de l'UNIMA (Union Internationale de la Marionnette), ce sur quatre continents, en quarante-sept pays et neuf déserts traversés et quelques kilomètres de pellicules rapportés, et accidents et incidents supportés... Ainsi cette documentation était tellement conséquente (6500 mètres de film couleur, 7000 photographies, 60 conférences... sans compter près de cinq cent représentations des aventures d'Alexandre, et autres interviews...) qu'elle a pu largement permettre d'être utilisée au-delà d'un film et donc également de servir à la production de la série de documentaires télévisée (avec ce matériel, il fut également réalisé en 1967 le film Rites et jeux : marionnettes d’Orient et d’Occident axé sur les marionnettes en Inde et au Rajasthan que l'on retrouve également dans la série).
Parmi les nombreux marionnettistes croisés au fil de ce « voyage extraordinaire » et qui furent présentés dans la série, outre les célèbres artistes français André Tahon (1931-2009) avec ses marottes qui allaient alors devenir des stars aux États-Unis et Yves Joly (1908-2013) avec ses êtres de papier bristol aux formes poétiques et mystérieuses issues de la pièce Tragédie de papier créée en 1957 (voir la galerie d'images dédiée à cette fiche), on peut souligner la présence d'une grande figure du théâtre de marionnettes roumain, Margareta Niculescu (1926-), celle-ci étant alors l'organisatrice du festival de la marionnette à Bucarest en une période où son pays devait encore endurer durant deux décennies un pouvoir oppressant. Ils firent de même la connaissance du russe Sergueï Obraztsov (1901-1992) qui, en plus d'une oeuvre scénique imposante, réalisa quelques courts métrages de marionnettes en prise de vue réelle dans les années 30 et Créatures célestes en 1956, un magnifique film musical de marionnettes en prise de vue réelle imposant dans la maitrise de manipulation lié aux compositions – on y entend entre autres en quelques scènes parodiques le traditionnel mexicain La Bamba, quelques notes des Feuilles mortes de Prévert et Kosmas avec une marionnette jouant les Juliette Gréco, ou encore le « Galop infernal » d'Orphée aux enfers d'Offenbach repris pour le French Cancan –, et il fut aussi présent en 1940 avec trois séquences de marionnettes à gaines (avec chiens et chats et une cantatrice posée sur sa tête, les mains de l'artiste faisant office de mains pour la marionnette) dans Concert on the Screen, comédie musicale de Semyon Timoshenko (à ne pas confondre avec le militaire éponyme), film avec des artistes à l'écran offrant des numéros de danses ou de chants, et où l'on pouvait voir un « Charlot » en un décors new-yorkais en un des sketches dansants (ce film de divertissement à la tonalité légère se terminait toutefois sur des images qui montrait le déterminisme soviétique à s'engager dans le second conflit mondial...).
Ils rencontrèrent également le suédois aux multiples facettes artistiques Michaël Meschke (1931-), de même que l'états-unien Bil Baird (1904-1987), célèbre en son pays avec sa marionnette de style muppet Charlemane le lion qui était présente à la télévision dans les années 50 dans le programme jeunesse du matin The Morning Show sur CBS, ainsi que le mondialement célèbre Jim Henson et ses deux compères à l'époque Don Shalin et Franck Oz, et évidemment leurs fameuses Muppets ; également aux États-Unis, à New York, ils rencontrèrent Peter Schumann, artiste libre et détaché des médias s'exprimant dans la rue avec des masques et des marionnettes géantes et portant un certain regard sur le monde pour y dessiner ses défaillances sociales et autres.
Du côté de l'Asie, une certaine magie des marionnettes, liée notamment à des lieux et des cultures peu connu du regard occidental, se découvrait à l'écran avec les marionnettes à tiges sacrées du Laos, ainsi que celles d'ombres des théâtres thaïlandais et indiens, avec pour ces dernières une représentation du Ramayana et l'histoire de la cour du Grand Mogol dans le nord du pays. On découvrait également les danseurs portant de grands masques, et adoptant une gestuelle marionnettique, du Little Ballet Troupe créé à Bombay en 1952 par Shanti Bardhan (1916-1954) et son épouse Gul Bardhan (1928-2010), cette formation adaptant aussi l'incontournable Ramayana (les masques portés par les danseurs et conçus par Appunni Kartha ont une certaine forme du visage imposante à laquelle on peut prêter quelque accointance avec les bas-reliefs persans qui ont par ailleurs inspirés Cyrille Dives, créateur des masques pour Les Perses réalisé par Jean Prat en 1961 pour la RTF). Une représentation de Wayang kulit, le théâtre d'ombres javanais avec ses marionnettes plates manipulées par des tiges, fut de même filmée au plein cœur d'une forêt tropicale.
Quant au Japon, il fut présenté évidemment le théâtre traditionnel Bunraku, celui d'Osaka, mais aussi en cette même ville la Takeda Ningyô-za, la Compagnie de Théâtre de Marionnettes Takeda (dont les origines remontent au 17ème siècle et qui toucha également au Bunraku) de Kinosuke Takeda (1923-1979). A noter que ce dernier a participé avec les marionnettes à fils qu'il a confectionné à ces occasions à quelques séries télévisées de marionnettes pour la NHK telles Uchûsen Shirica (Silica, le vaisseaux de l'espace, 1960-62, de Shinichirô Hoshi) puis Le Commando de la Voie lactée / Ginga Shônen-tai (1963-65, d'Osamu Tezuka), ainsi que Kuchû Toshi 008 (Ville Aérienne 008, 1969-70, d'après l’œuvre de Sakyo Komatsu), trois ouvrages couverts de compositions signées par Isao Tomita. De part leur genre (science-fiction), et un certain esthétisme et divers effets spéciaux, on pourrait voir en ces séries l'influence des Gerry et Sylvia Anderson qui proposèrent dès 1961 et 1962 des aventures spatiales avec Supercar et Fusée XL5 / Fireball XL5, et effectivement il pu y avoir influences, surtout pour la troisième, mais celles-ci furent probablement réciproques et incluaient de part et d'autre des influences ou inspirations communes et cela incluant la riche production des tokusatsu depuis les années 50 (l'originalité des marionnettes des Anderson est qu'elles possédaient des composants électroniques d'où l'appellation de « Supermarionation »).
C'est dire, à la vue de cette légère énumération de son contenu, si cette série de documentaires, certes d'un format relativement court, était tout de même comme une petite encyclopédie de la marionnette mise en images, telle une photographie d'alors mettant en relief le paysage de ce monde marionnettique qui a depuis connu bien des évolutions, sans pour autant abandonner ses traditions malgré parfois certaines difficultés à exister...
A propos encore du Japon, il est a noté que la marionnettiste Michiko Tagawa (qui plus tard œuvrera aux effets spéciaux et aux marionnettes sur des films de John Carpenter, Joe Dante, ou Steven Spielberg) rencontrée lors de l'étape japonaise, s'est adjointe à l'expédition lorsque celle-ci quitta l'Archipel, l'artiste apportant quelques personnages supplémentaires, dont un petit samouraï, aux aventures d'Alexandre.
Dans son livre d'une écriture simple mais ô combien émouvante Dans la peau d'un monstre (gentil) : Ma vie avec et sans Casimir (Éditions Intervales, 2014), outre l'expédition Alexandre en quelques pages, Yves Brunier évoque cette série Le Tour du monde des marionnettes en quelques mots, situant sa création avec la 3ème chaîne de l'ORTF comme productrice du programme. Hors ladite chaîne a été créée en 1973 et la première diffusion de la série se situe en octobre 1969 sur la 2ème chaîne de l'ORTF dans Colorix. Yves Brunier aura probablement mêlé ses souvenirs à ceux de L'Île aux enfants, la célèbre émission ayant débutée en septembre 1974 sur la 3ème chaîne de l'ORTF (Marseille). Quant à l'ouvrage anglais French-speaking Women Film Directors: A Guide de Janis L. Pallister, il fait mention de l'année 1968 pour cette série sur laquelle œuvra à la réalisation et au montage Annie Tresgot.
Philippe Genty est revenu également sur cette fameuse expédition dans l'ouvrage Paysages intérieurs (Actes Sud, 2013) qu'il a signé et dont la couverture est une magnifique photographie du lac salé en Utah prise par Yves Brunier lors de ce grand voyage, et où l'on voit Philippe Genty, de dos, et la 2CV un peu plus loin...
Yves Brunier a passé ensuite deux décennies en grande partie sur le petit écran (d'une île aux enfants à un village dans les nuages) et Philippe Genty, qui s'est nourri de ses rencontres lors de l'odyssée Alexandre, est devenu au théâtre l'un des artistes français de la marionnette parmi les plus célèbre à l'international, peut-être plus qu'en son propre pays, et ce sans passer par le petit écran... Ayant ainsi voyager ensemble, sur la même route autour du monde, la carrière artistique de l'un lui fit prendre le chemin des plateaux de télévision et celle de l'autre celui des planches de théâtres. De fait comme cela se fit, outre la conception de la série, leur voyage en commun à la découverte des marionnettes du monde donna naissance à leur propre monde de marionnettes empli autant l'un que l'autre de poésie.
Les titres des épisodes sont présentés ci-dessous dans un ordre non défini avec tout de même pour certains d'entre eux leur première date de diffusion