Diffusions
Arrivée en France (cinéma) | 3 décembre 1986 |
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1ère diff. Cable/Sat/TNT | 21 décembre 2003 (Teva) |
Synopsis
L’ancien cinéaste Jean Diaz meurt dans un accident de voiture avec à son bord son jeune fils David qui se retrouve dans le coma. La Grande Faucheuse, responsable de l’accident, propose au réalisateur un pacte : celui d’achever Le Sang, le premier dessin animé sur lequel Jean travaille depuis 10 ans, afin de renouer avec son combat de la violence du monde – cette même violence qui l’avait écœuré au point de se retirer du métier –, en échange de quoi David survivra. Jean accepte et s’attelle à la tâche dans un sous-sol de l’Autre Monde, aménagé en studio d’animation. Mais le réalisateur ignore que son film, au départ destiné à concentrer la violence sous toutes ses formes pour créer une prise de conscience de l’humanité, va en réalité servir pour la Mort de programme de destruction de la Terre. Pendant ce temps, de l’autre côté, David est persuadé que son père n’est pas mort, mais seulement prisonnier quelque part...
Commentaires
René Manzor se fait connaître en 1981 avec un premier court-métrage d’animation intitulé Synapses dont la version en 35mm fut tournée dans le studio de Paul Grimault. Récompensé par le Grand Prix du Festival du jeune cinéma de Hyères, ce premier film lui ouvre la voie pour un autre récit court, Le Suicide de Frank Einstein (1983), qui lui donnera le goût de la réalisation en prises de vues directes et le confortera dans sa volonté de porter à l’écran Le Passage, une histoire qu’il porte en lui depuis ses débuts d’auteur.
Jugé trop atypique, le projet est refusé par toutes les sociétés de production françaises et la réalisation des séquences animées intégrées au récit en guise de pilote ne change rien. Après 6 ans de démarchages infructueux, René Manzor songe à renoncer avant que son frère, le chanteur Francis Lalanne alors au sommet de sa popularité, ne tente un coup de bluff ; ce dernier se rend au siège de la société de production d’Alain Delon – que Manzor envisageait pour le rôle de Jean Diaz – et remet aux assistants de l’acteur le scénario et le film-pilote en prétextant le souhait d’avoir Delon uniquement en tant que producteur. Surpris par la requête et par le style graphique du pilote (en noir et blanc expressionniste) qui tranche avec le gros de la production animée de cette période, les responsables font parvenir le scénario à Alain Delon... qui accepte, à condition d’avoir le rôle ! Le projet est sauvé, la présence de Delon permet de trouver aussitôt un distributeur, en l’occurrence UGC.
L’acteur aide dans un premier temps le jeune réalisateur à condenser son script original de 200 pages pour ne garder que l’essentiel, sans altérer le fond du récit. Avec un budget modeste et un temps de tournage fixé à 7 semaines, René Manzor est engagé à l’essai sur les trois premiers jours afin que Delon évalue ses capacités à mener un tel projet impliquant la direction d’acteurs (dont un enfant), un gros travail de maquillage et des effets spéciaux ; la production se déroulera sans accrocs avec à terme la réalisation de nouvelles séquences animées pour Le Sang dans lesquelles David interagit avec les personnages dessinés (ces derniers étant incarnés par des doublures filmées, entièrement vêtues de vert, pour être ensuite rotoscopées). Le tout est mené dans la plus grande discrétion, aucun communiqué n’est délivré à la presse. Le film sort en fin d’année 1986 et connaîtra un immense succès avec 2,5 millions de spectateurs ; la chanson "On se retrouvera" interprétée par Francis Lalanne au générique de fin constituera d’ailleurs un argument publicitaire de poids.
Conte mêlant magie et technologie, revisite du mythe d’Orphée entre un père et son fils, manifeste enfantin sur le pouvoir de l’image, Le Passage constitue une œuvre singulière dans le paysage cinématographique français. Alors que d’autres films comme L’Unique (1986) de Jérôme Diamant-Berger ou Terminus (1987) de Pierre-William Glenn expérimentent l’image de synthèse suite à la mise en place du Plan Recherche Image de François Mitterrand, René Manzor reste attaché au dessin animé qu’il place au cœur de son récit. Le résultat marque par la foi absolue que le réalisateur embrasse dans son pamphlet contre la violence et sa célébration de l’amour plus fort que la mort ; charge au spectateur de se laisser emporter par cette candeur confondante… ou d’être prodigieusement consterné par un tel excès de mièvrerie ! Le film ayant eu droit à une chronique sur le site Nanarland, les amateurs en ont eu pour leur compte entre la naïveté générale du récit et surtout l’implication d’Alain Delon (entendre l’acteur menacer la Grande Faucheuse d’un « Ne touche pas à mon fils sinon je te tue ! » reste un grand moment d’humour involontaire).
S’il y a incontestablement des choses à redire sur le film (notamment sur le personnage de Catherine, au rôle particulièrement ingrat), d’autres aspects peuvent avoir un certain charme comme la technologie informatique désormais désuète qu’utilise la Mort, ou la Grande Faucheuse elle-même au maquillage très réussi (sous lequel se cache un Daniel Emilfork non crédité au générique et à la voix trafiquée au vocoder). De même, le jeune Alain Musy (le propre fils du réalisateur) livre une prestation honorable et sa scène avec Delon par VHS interposée est assez touchante. La musique assurée par Jean-Félix Lalanne (dernier membre de la fratrie) propose une atmosphère froide et éthérée à base de synthés et de chœurs, ainsi que de thèmes mélancoliques au piano et au violon parfaitement raccord, et Manzor fait preuve d’un véritable sens de la composition du cadre qu’il confirmera avec son film suivant, 36.15 Code Père Noël (1990), où Alain Musy partagera l’affiche avec Patrick Floersheim. Quant au dessin animé Le Sang en lui-même, celui-ci déploie une noirceur qui n’est pas sans rappeler les travaux de Thomas Ott ; malgré quelques ratés au niveau de certaines animations, son graphisme en clair-obscur mâtiné d’éclats de rouge sang est particulièrement marquant.
Curiosité utilisant le dessin animé pour les uns, nanar cosmique pour les autres, Le Passage demeure avant tout l’œuvre boiteuse mais sincère d’un authentique amoureux de l’image.
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Sources :
https://www.renemanzor.com/
William Park, Le Passage : Alain Delon au banc-titre !, Animatographe n° 1, p. 23-24, mars-avril 1987.
Alexandre Jousse, René Manzor : L’imaginaire sous toutes ses formes, L’Écran Fantastique n° 351, p. 116-125, février 2015.
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