Synopsis
Où l'on découvre, l'un après l'autre, le portrait de trois oiseaux. Ces volatiles, qui font ce qu'ils ont à faire, étant l'Oiseau carnassier (ressemblant à un vautour pour son aspect et combattant l'un de ses congénères jusqu'à la mort), l'Oiseau-mouche (un colibri qui virevolte à la recherche de fleurs à butiner, puis donne naissance à ses enfants qui peu après finiront piégés par une fleur carnivore, et ce avant qu'un autre danger à huit pattes ne l'approche) et l'Oiseau chanteur (qui comme son nom l'indique ne fait que chanter…).
Commentaires
Voici le portrait de l’Oiseau-Qui-N’existe-Pas.
Ce n’est pas sa faute si le Bon Dieu qui a tout fait a oublié de le faire.
Il ressemble à beaucoup d’oiseaux parce que les bêtes qui n’existent pas ressemblent à celles qui existent.
Mais celles qui n’existent pas n’ont pas de nom.
Et voilà pourquoi cet oiseau s’appelle l’Oiseau-Qui-N’existe-Pas, et pourquoi il est triste.
Il dort peut-être, ou il attend qu’on lui permette d’exister.
Il voudrait savoir s’il peut ouvrir le bec, s’il a des ailes, s’il est capable de plonger dans l’eau sans perdre ses couleurs, comme un vrai oiseau.
Il voudrait s’entendre chanter.
Il voudrait avoir peur de mourir un jour.
Il voudrait faire des petits oiseaux très laids, très vivants.
Le rêve d’un oiseau-qui-n’existe-pas, c’est de ne plus être un rêve.
Personne n’est jamais content.
Et comment voulez-vous que le monde puisse aller bien dans ces conditions ?
Ce court-métrage est une libre adaptation du poème – mis en exergue de ces commentaires – Portrait de l'Oiseau-Qui-N'Existe-Pas (1950) de l'écrivain et poète français et parisien Claude Aveline (1901-1992, né de parents russes). Il a été réalisé et animé par le peintre, graveur, lithographe, écrivain et cinéaste français Robert Lapoujade (1921-1993), et ce avec le Service de la recherche de l'ORTF dirigé par Pierre Schaeffer (1910-1995) et avec lequel l'artiste produira pratiquement toutes ses œuvres filmiques (de 1959 à 1967). Robert Lapoujade utilise ici diverses techniques et particulièrement celle de l'animation de poudre ainsi que celle qui consiste à peindre directement sous la caméra. On peut ainsi écrire qu'il s'agit non pas de dessins animés mais de peintures animées. Son style – qu'il a déployé dans ses œuvres picturales et que l'on retrouve ici – est emprunt d'une certaine flamboyance même dans les notes sombres, et ce tant dans les couleurs et leur mise en lumière que dans les gestes produisant formes et mouvements. En 1964, le film sera récompensé du prix Emile-Cohl.
A propos de Pierre Schaeffer, soulignons que ce court-métrage fut produit par le grand homme de cinéma Roger Leenhardt (1903-1985, critique et intellectuel du cinéma, réalisateur, scénariste, producteur et à quelques occasions acteur). Roger Leenhardt avait fait la connaissance de Pierre Schaeffer vingt-deux ans plus tôt en 1941, le compositeur et théoricien l'ayant alors engagé au sein de l'association culturelle Jeune France (1940-42) créée sous l'égide du gouvernement de Vichy… Roger Leenhardt produira quelques autres ouvrages d'animation comme, déjà avec la participation du Service de la recherche de la RTF, l'amusant Patamorphose ou le désespoir du peintre (1960) de Michel Boschet et André Martin (le grand théoricien du cinéma d'animation), court-métrage qui était aussi un exercice de style comme le portait de l'oiseau évoqué ici (des extraits de Patamorphose furent diffusés sur la 1ère chaîne de la RTF le 29 septembre 1961 dans une émission en deux parties Le Septième Art Bis où Leenhardt, Boschet et Martin présentent les différentes étapes de fabrication d'une œuvre d'animation au travers de leur film qui est en ce sens une réflexion à lui seul de ce qu'est l'animation).
Donner forme et presque vie au travers d'un où plusieurs portraits à un oiseau qui n'a pas d'existence, est-ce réaliste ? Justement, au travers de l'art, tout pourrait donc exister même ce qui n'existe pas. Le cinéaste rejoint ainsi le poète en jouant au Créateur, alors que ce dernier semble avoir délaisser sa création en oubliant de créer d'autres de ces créations. Aussi, ces oublis se seraient transformés en quelque sorte en rêve que l'artiste à la capacité de reproduire. L'imagination est de fait réelle même si elle reste une rêverie, l'art élevant le réel au-delà de son implacable dureté.
Evidemment, la figure de l'oiseau est pour Claude Aveline synonyme de liberté, le dessin de son oiseau accompagnant son poème resplendissant de douces couleurs, et cette liberté prend un certain sens pour le poète qui fut quelques années auparavant un grand résistant sous l'Occupation. Le poète l'exprimera encore sous de nombreuses formes puisqu'il écrira des romans, des contes, des nouvelles fantastiques, des essais, mais aussi des pièces radiophoniques, des articles de presse, ainsi que des histoires pour la jeunesse.
Avec cette adaptation, jouant à la fois sur le figuratif et certains aspects de l'abstraction, Robert Lapoujade multiplie le portrait d'un oiseau par trois : avec l'Oiseau carnassier (aux couleurs ternes accompagnées des cris de ces vautours représentant la mort), l'Oiseau mouche (au plumage écarlate et survolant un décor chatoyant représentant d'une certaine façon la vie mais évoquant à nouveau la mort) et l'Oiseau chanteur (faisant entendre son chant multiple de sa naissance à sa mort en une variation de teintes qui se mêlent entre elles). On remarquera que le réalisateur reprend quelques évocations du poème comme la mort, les petits oiseaux et le chant, et que deux de ses oiseaux qui n'existent pas ressemblent au vautour et au colibri.
Notons tout de même que bien avant cette triple représentation, le poète lui même, comme évoqué plus haut, avait dessiné un tel oiseau avec des crayons de couleurs puis, pour combler l'espace laissé par le dessin, il écrivit le poème que l'on connait. Quelques années plus tard, de 1956 à 1963, il demanda à des artistes de faire chacun à leur guise, selon leur imagination, le portrait de cet Oiseau-Qui-N’existe-Pas constituant ainsi ce qu'il désigna comme une « volière », celle-ci se composant de 108 ouvrages dont les deux premiers ont été réalisés par deux artistes surréalistes, Léonor Fini et Stanislao Lepri, puis suivra Jean Cocteau, Joséphine Beaudouin… (ces dessins sont conservés à la Bibliothèque municipale de Versailles). Il reproduisit l'opération entre 1978 et 1982 créant alors de la sorte une « seconde volière ». Puis, entre 1990 et 2013, une « troisième volière » de dimension internationale avec la participation de moult plasticiens est commandée par Claude Lemand, galeriste et docteur de Littérature comparée, ayant épousé en 1977 France Grésy-Aveline, la petite-fille du poète. C'est dire le nombre de portraits qui fut fait pour un tel Oiseau-Qui-N’existe-Pas.
Le film de Robert Lapoujade est en quelque sorte une autre volière, certes plus réduite, mais qui est la seule œuvre audiovisuelle ayant touché à l'Oiseau-Qui-N’existe-Pas. Contrairement aux autres formes que l'on trouve dans les trois volières, celle de Lapoujade est animée et elle est également accompagnée d'une composition musicale signée par François Bayle (1932-) qui œuvra beaucoup pour le Service de la recherche de l'ORTF avec le GRM créé par Pierre Schaeffer. Cet ouvrage de musique concrète est l'un des premiers travaux de compositeur de François Bayle. Il y use de diverses expériences, mêlant même le chant d'oiseaux au son électronique. Neuf ans plus tard, en 1972, il composa la pièce Trois rêves d'oiseau dont la première partie « l'Oiseau moqueur » est une reprise remixée de la musique qu'il composa pour le troisième portrait « l'Oiseau chanteur » que Lapoujade mis en couleurs dans Trois portraits d'un Oiseau-Qui-N'existe-Pas. A cet égard, on pouvait déjà ressentir comme une certaine arrogance chez « l'Oiseau chanteur ».
Ce court-métrage en couleurs fut diffusé pour la première fois à la télévision française le lundi 25 janvier 1965 sur la 2ème chaîne de l'ORTF (qui émet en noir et blanc jusqu'en 1967), ce dans le cadre de Banc d'Essai (158 numéros, 1964-74), émission produite par cette seconde chaîne de l’ORTF et plus particulièrement par son Service de la recherche et destinée à promouvoir la jeune création française au travers de fictions, documentaires ou encore d'entretiens. Le magazine Banc d'Essai fut parmi quelques autres émissions sur l'ORTF (telles les Ballades Animées de Arlen Papazian) à s'intéresser à l'animation en proposant régulièrement dans son programme la diffusion d'un court-métrage.
Quatre ans plus tard, le 18 décembre 1969, Robert Lapoujade présentera lui-même à l'écran – avec un extrait – ce film d'animation dans le cadre de l'émission A nous l'antenne sur la 1ère chaîne de l'ORTF. Dans ce magazine réalisé par Jacques Samyn et présenté par Bertrand Jérôme, et en ce numéro consacré en partie à l'animation (avec entre autres René Goscinny et Albert Uderzo), il expliquait aux enfants présents dans la classe d'école servant de plateau comment il a fabriqué et conçu son film.
Trois portraits d'un Oiseau-Qui-N'existe-Pas sera à nouveau mis en lumière le 29 mars 1975 sur FR3 dans le cadre de l'émission Des machines pour des artistes. En ce numéro portant sur « L'imaginaire image par image », Peter Foldes (1924-1977), peintre et réalisateur de films d'animation, commente plusieurs courts-métrages d'animation et, pour celui de Lapoujade (fût-il alors diffusé dans son intégralité ?), il mettra l'accent sur son réalisateur en soulignant que beaucoup d'auteurs de dessins animés sont des peintres (pour exemples encore René Laloux ou Frédéric Back).
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Sources :
Inathèque et INA
Quelques textes de Claude Aveline et Claude Lemand
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