L'Île aux Ours

Dans l’Univers des Quatre Éléments où les océans s’étendent à perte de vue, un ourson blanc avec un masque sur les yeux dérive dans une caisse. Les courants marins le conduisent à l’Archipel des Lapins, où il est adopté par le vieil Archibald. Prénommé Edie, l’ours grandit aux côtés de P’tit Max (le neveu d’Archibald) et devient parmi les lapins un facteur faisant ses tournées en ballon.
Mais un soir de tempête, Edie récupère une bouteille flottant dans la mer. En l’ouvrant, il libère un petit fantôme appelé Oc qui lui révèle la vérité, à savoir qu’Edie n’est pas un lapin mais bel et bien un ours qui viendrait d’un endroit lointain appelé « l’Île aux Ours ». Le plantigrade n’a alors plus qu’une idée en tête : retourner parmi les siens sur cette île.
Commence alors pour Edie, P’tit Max et Oc un long périple en ballon durant lequel ils s’attireront les foudres des Faiseurs du Temps qui règnent en maîtres sur l’Univers des Quatre Éléments, entre le colérique Oiseau Tempête, la glaciale Sirène Lodine, la cruelle Sorcière Marveline et le mégalomane Singe Tropique. D’autres ennemis se présenteront face au trio d’aventuriers (dont les pirates de Trompe-En-Bois qui avaient capturé Oc dans sa bouteille et entendent le récupérer) mais aussi de précieux alliés avant de pouvoir atteindre la mystérieuse Île aux Ours.

Grâce au succès de sa première série Touni et Litelle animée avec le logiciel de Gilbert Comparetti, la société Pixibox put rejoindre les rangs des pionniers français de l’animation assistée par ordinateur à la fin des années 1980. Son fondateur, le producteur et réalisateur Jacques Peyrache entend bien profiter de l’expérience acquise sur le logiciel pour proposer une nouvelle série plus ambitieuse, avec une histoire à suivre sur 26 épisodes de 12 minutes chacun (contre 6 minutes sur Touni et Litelle). Mais il fallait toutefois tenir compte des contraintes inhérentes à l’animation en 2D par interpolation : la technique repose sur des dessins composés de formes fermées afin de pouvoir évoluer de façon cohérente durant leurs transformations automatisées par l’ordinateur, ce qui limite grandement les possibilités de designs (en plus d’être peu adapté pour les mouvements rapides qui apparaissent comme flottants). À cela s’ajoute le fonctionnement du logiciel Comparetti qui n’autorisait qu’un certain nombre de dessins-clés, imposant donc beaucoup de réutilisations de cycles d’animation.
C’est avec ces limitations techniques en tête que Jacques Peyrache va développer le concept de L’Île aux Ours en attendant de bénéficier de logiciels plus poussés de la part de Gilbert Comparetti. Il choisit donc un ours lent et massif comme protagoniste et qui se déplace en montgolfière, moyen de transport très facile à animer en interpolation. Le personnage est flanqué de deux comparses n’ayant pas à marcher comme des humains : l’un est un lapin qui bondit à coups de cycles d’animation tout aussi aisés à mettre en place, l’autre est un fantôme affirmant sa nature flottante et instable. Le trio est lancé dans une quête d’une terre promise, prétexte à l’aventure et à l’errance au sein d’îles et de mondes régis par des lois mystérieuses. Ce matériau de base est ensuite développé par Bob Müller qui assurera la création graphique des personnages et des décors tandis que le scénariste Jean-François Henry écrit l’essentiel des épisodes. Le tout se fait sous la direction de Jean-Louis Gros qui assure la réalisation. Concernant la musique, Alain Ledouarin compose une bande-son éclectique mêlant chorale a capella, plages de synthétiseur lancinantes, mélodies aux sonorités caribéennes et passages rock.
Le film-pilote sort en 1989 et attire l’attention de Christophe Izard qui officie à la direction des programmes jeunesse d’Antenne 2 ; la série est rapidement financée. Comme pour Touni et Litelle, le CNC et la Communauté des Télévisions Francophones (CTF) apporteront un complément au budget. L’Île aux Ours est diffusé sur la deuxième chaîne à partir de la rentrée de 1991.

Avec ses scénarios versant dans le récit d’aventures, le fantastique, le merveilleux et la science-fiction, la série déploie tout un monde où se conjuguent péripéties rocambolesques, humour, magie, technologie ancienne et moderne. Chaque épisode est centré sur un nouveau lieu (ou la revisite d’un ancien), invitant le spectateur à découvrir un peu plus l’étendue de l’Univers des Quatre Éléments. L’histoire déploie une galerie de personnages à la fois truculents et inquiétants dont l’animation tantôt saccadée, tantôt fluide mais raide contribue à l’étrangeté qui émane d’eux. Cette dimension « autre » de l’environnement et du bestiaire vaudra d’ailleurs à la série de refaire parler d’elle en 2011 parmi les internautes polonais qui en feront une creepypasta, soulignant son ambiance sombre où tous les éléments (incarnés par les Quatre Faiseurs de Temps) se déchaînent pour empêcher le trio d’aventuriers d’atteindre son but. Les dialogues sont servis par un doublage de qualité, où le ton grave et sérieux de Jean-Paul Richepin qui interprète Edie se heurte à l’extravagance déployée par les autres comédiens.

Malgré un bon accueil, L’Île aux Ours pâtira du changement de tête à la direction de l’unité jeunesse d’Antenne 2. Si la collaboration entre Pixibox et la chaîne s’est poursuivie avec la commande d’une nouvelle série (qui sera La Compète), les aventures d’Edie, P’tit Max et Oc n’auront pas droit à une deuxième saison qui aurait pu exploiter les pistes narratives laissées ouvertes dans l’épisode de conclusion. La série sera régulièrement rediffusée au Canada sur la chaîne SRC, l’élevant au rang de programme culte là-bas. En France, elle ne connaîtra qu’une seule rediffusion sur France 2 à partir de l’été 1997 avec les épisodes dans le désordre.
Au-delà, elle marquera la fin de l’utilisation du logiciel de Gilbert Comparetti, l’intéressé souhaitant garder la mainmise sur l’outil qu’il a créé et voguer vers d’autres horizons. Ce départ amènera Jacques Peyrache à faire développer en interne son propre logiciel d’animation et de compositing (celui-là même qui servira sur La Compète). Baptisé "Pegs", l’outil présentera l'avantage d'être compatible avec les standards de fabrication mondiaux et permettra à Pixibox de connaître une croissance rapide, la plaçant en tête des studios d'animation numérique.

Un grand merci à Jacques Peyrache pour l’ensemble des informations données.